mercredi 23 juillet 2014

Ne m'appelez plus collaborateur

Les directions poussent à une individualisation extrême de la relation au travail, de la gestion des salariés et de l'organisation du travail. Le formatage idéologique autour de notions telles que : « relever des défis, montrer qu'on est le meilleur, viser l'excellence, etc » font partie de cette stratégie. Pour soit-disant motiver les équipes, les cours de management n'hésitent pas à populariser, entre autres, le mot « collaborateur ». Une sémantique qui s'accompagne de souffrance au travail. Le salarié est un ennemi à fragiliser, à affaiblir et à isoler. Il faut le mettre en difficulté pour obtenir de lui un travail à la hauteur de ce qu'attend l'entreprise.

Face à cette sémantique nouvelle, il convient de se rappeler du sens des mots, de leurs connotations, et de la volonté qui se cache derrière leur nouvel usage.


Gérard Filoche, inspecteur du travail, nous apporte son témoignage suite à sa rencontre, dans le cadre de ses fonctions, avec la DRH d'une entreprise.


La DRH : – « Bonjour Monsieur l’inspecteur, je vous présente mes collaborateurs… »
- Ah, vous avez des gens extérieurs à l’entreprise, ils ne sont pas déclarés ?
- Mais non, bien sûr, ils sont salariés. Ici, dans l’entreprise, bien sûr
- Pourquoi vous les appelez collaborateurs ?
- Mais on les appelle comme ça, ce sont des collaborateurs…
– Mais, Madame, vous savez ce qui caractérise un contrat de travail, c’est un « lien de subordination juridique permanente ». Je parle en droit. Tout salarié est « subordonné ». On ne peut à la fois, être « collaborateur » et « subordonné ».
- Monsieur l’Inspecteur on les appelle ainsi, par respect, pour les associer…
- Madame, le mot « collaborateur » n’existe pas une seule fois dans le Code du travail, restez donc sur un plan juridique, c’est clair : un « salarié » !
- Mais enfin monsieur l’Inspecteur, on a le droit d’appeler nos… nos collaborateurs comme on veut.
- Madame, vous faites de l’idéologie. S’il vous plait, pas avec moi.
- Comment ça ?
- C’est de l’idéologie que d’appeler un salarié « collaborateur ». Ça peut faire croire, qu’il est sur un pied d’égalité avec vous dans son contrat mais ce n’est pas le cas. C’est parce qu’il est subordonné qu’il a des droits. Le code du travail, c’est la contrepartie à la subordination. Supprimer la notion de subordination, ça enlève la contrepartie. Ça fait croire que dans l’entreprise, tous ont le même « challenge », le même « défi », sont dans le même bateau. Jusqu’à ce que le patron parte avec le bateau et que le salarié reste amarré sur le quai au Pôle emploi, et il s’aperçoit alors qu’il n’était pas collaborateur mais bel et bien subordonné… Le patron et le salarié n’ont pas les mêmes intérêts. L’un cherche à vendre sa force de travail le plus cher possible, l’autre veut la lui payer le moins cher possible.
- Là, monsieur l’inspecteur, c’est vous qui faites de l’idéologie !
- Vous croyez ? Bon alors, je propose d’arrêter tous les deux, et pour nous départager, de nous en tenir au droit, au seul droit, donc on parle de « salariés » désormais. Uniquement.
- Bien mais c’est dommage, j’utilise « collaborateur » parce que c’est valorisant…
- C’est vous qui le dites ! Vous ne vous demandez pas pourquoi on n’a pas mis le mot « collaborateur » en 1945-46 dans le code du travail ?
- C’est une question de génération…On n’a pas le même sens pour le même mot…
- C’est certain. « Collaborateur », c’est marqué d’infamie. On n’a donc pas la même approche. Allez, n’en parlons plus, mais encore une fois, soyez correcte : appelez vos salariés des salariés…

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